La Création toute entière en mal de son Créateur

Publié le par Fédérations des Églises Africaines de Suisse

En philo, tu sais ce que j’ai eu comme sujet ?  Qu’est-ce que la pauvreté ?Le truc bateau dont tout le monde parle tous les jours à la téloche. J’y suis allé à donf sur les restos du cœur, un petit coup sur l’Armée du Salut et puis l’hébergement, l’immigration et tout le zin zin… Je voyais bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Et tout d’un coup, me revient à l’esprit ce que mon grand-père m’avait dit un jour : « Tu sais petit, la vraie misère se cache ». J’ai tout refait, et j’en ai même rajouté une couche. J’ai dit, le pauvre c’est celui qu’on ne voit pas et que personne n’écoute. J’ai même dit qu’on se fabriquait les pauvres dont nous avions besoin, tu sais les bonnes œuvres, les trucs éthiques qu’on voit partout… J’y ai été peut-être un peu fort, qu’est-ce t’en penses ? 

La_creation_en_mal_de_son_createur_s.jpg Le Christ aux outrages         Le massacre des Innocents

       Bosch Jérôme (vers 1450-1516)              Brueghel Pieter, le Vieux (1528-1569)

En périodes d'incertitude, beaucoup reviennent sur nos mémorielles racines chrétiennes ! Certains voudraient même manifester la supériorité de notre civilisation en occultant rien moins que notre propre histoire et son lot d’atrocités, l’injustice criante faite au tiers-monde et à toutes les générations à venir…Ce qui est extrêmement gênant avec le Christ, c’est qu’il est la figure vivante du petit, du pauvre, de l’humilié, de l’accusé et au final du condamné.Dans la Bible, Isaïe nous parle d’un envoyé aimé de Dieu, un Serviteur souffrant : par sa vie, ce serviteur (ou serait-ce un peuple ?) témoigne du choix de ce Dieu d’être du côté de ceux qu’on rejette, de ceux qui sont victimes de la puissance des puissants, de la force des forts, de l’asservissement et du joug exercés par les maîtres de ce monde. Scellée dans le sang, cette solidarité, cette alliance inouïe nous indique à jamais le sens donné à notre histoire.

L’injustice de Dieu…

Nous commençons généralement à remettre en question un Dieu qui enverrait son propre fils comme "serviteur souffrant". Il ne peut bien évidemment s’agir d’un dieu d’amour comme le disent les chrétiens ! L’amour, même si ce mot recouvre tant de sens différents dans notre langue française n’a jamais consisté à faire souffrir son fils ! Ce serait plutôt le comble de la perversité et le fruit d’une injustice inqualifiable ! Une parole énigmatique rejoint cette interrogation, c’est celle de Jésus : « Abba, Abba (mon Père) pourquoi m’as-tu abandonné ?». N’y a-t-il pas comme un goût amer de trahison dans ces paroles ultimes prononcées juste avant sa mort par un homme crucifié et traité comme un vulgaire criminel ? Et tout ce peuple –celui qui a combattu avec son Dieu- dont le nom renvoie obligatoirement au Dieu de la Bible n’a-t-il pas été injustement puni quand il a été exterminé dans des camps alors même qu’à l’instant de mourir dans les chambres à gaz, il invoquait son Dieu : « Shema (écoute) Israël », cette prière chère au cœur de tous les juifs pieux ? Qui serais-je, moi homme, pour me faire l’avocat d’un dieu, quel qu’il soit ? Que pourrait bien prétendre le vase vis-à-vis du potier, comme le dit Paul dans son épître aux Romains ?

Ce qui complique un peu plus les choses pour un chrétien, c’est que Dieu s’est fait homme. On dit même de Jésus-Christ qu’il est parfaitement homme et parfaitement Dieu. Au-delà de ce que nous ne pourrions comprendre, retenons que Jésus est parfaitement homme. Nous ne disons pas, c’est l’homme parfait ou le surhomme ou l’homme-modèle. Nous disons qu’il a vécu en tout la plénitude de l’être humain. En d’autres termes, c’est l’homme accompli, tel que Dieu le veut. C’est le "premier" homme nous dit Paul, celui qui nous précède tous. Il est celui qui nous fait accéder à l’humanité.

Nous aurons beau chercher indéfiniment à comprendre la justice ou l’injustice de Dieu, la place exacte du Bien et du Mal, jamais nous n’accèderons seuls à cette connaissance. Certes, nous nous sommes saisis du fruit de la connaissance du Bien et du Mal, et nous croyons être les détenteurs de cette connaissance, mais cette connaissance est usurpée. En volant son fruit, nous croyons l’avoir acquise alors même que c’est bien le seul fruit que nous ne devions pas manger !

Cette connaissance ne nous appartient pas, elle n’appartient qu’à Dieu. Nous nous sommes emparés d’une connaissance qui ne nous a pas été donnée, mais nous la croyons nôtre. Nous pouvons trouver injuste que nous n’ayons pas eu à manger aussi de ce fruit, et dès lors, commence le procès de l’homme contre Dieu. Nous pouvons aussi reconnaître cette limite dans l’instauration de deux champs respectifs, celui de Dieu et celui des hommes, contingent à celui de Dieu. Celui de la Justice de Dieu, celui de la justice des hommes qui ne peuvent à eux seuls connaître le Bien et le Mal tels que Dieu "seul" les connaît. On oublie trop souvent le commandement impératif que Jésus assigne à ses disciples : « ne jugez point » !

Entendons-nous bien, nous ne disons pas qu’il faudrait que l’homme n’exerce aucune autorité dans le domaine de la justice mais il faut qu’il sache que la Justice voulue de Dieu lui échappe ; il n’en sera jamais l’auteur. Il n’y a qu’un seul juge digne de ce nom. Cependant, il en sera peut-être l’agent, auquel cas, soit il sera le serviteur qui réalise le projet de Dieu en exécutant Sa volonté, soit il sera celui qui réalise ce projet en s’opposant à cette volonté. Pharaon en s’opposant à Yahvé permet la manifestation de la gloire et de la puissance de Dieu nous dit la Bible. Et combien en est-il encore plus pour Pilate. « Mais Jésus répondit à Pilate : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut » » (Jean. 19, 11). Pilate en condamnant Jésus exerce une justice dont il ignore totalement l’origine. Mais en quoi la condamnation de Jésus rentre-t-elle dans le plan de Justice voulu par Dieu ?

La Justice de Dieu…

« Et Dieu vit que cela était bon ». Toute la Création est ponctuée de cette parole, jour après jour. Dans la Bible, tout ce qui vient de ce Dieu est bon. Ce qui est bon n’est pas bon en soi. Ce qui est bon c’est ce qui vient de Dieu, autrement dit, n’est réellement bon que ce qui vient –non des hommes- mais de Dieu. D’où la question que tout Juif et tout Chrétien se posera quotidiennement ; Qu’est-ce qui m’est donné aujourd’hui ? De quel pain ai-je été nourri aujourd’hui ? L’homme n’a rien d’un robot, d’un automate ou même d’un exécutant ! Comme tout bon serviteur, il est nourri par son Maître…. Mais que dis-je ? En Jésus, le Maître est devenu serviteur !

Et oui, un Maître qui se met au service de ses propres disciples ; voilà la Justice de Dieu. Se faire serviteur de ses frères, comme Jésus lui-même l’a fait, telle est la volonté de Dieu. « Et Dieu vit que cela était bon ». Et voici que telle est Sa Justice, tel est son bon plaisir (sa liberté) et tel est le soin qu’Il prend de sa créature. Serviteur oui. Mais pourquoi serviteur outragé, serviteur souffrant ? Ce serviteur est défiguré, lit-on dans Isaïe, il est méconnaissable. Il porte le poids de nos fautes, il les porte à notre place ! Ce serviteur a pris sur lui nos fautes (nos dettes), toutes nos fautes, bien qu’Il en soit lui-même exempt. C’est ainsi que Dieu lui-même nous rachète, qu’il efface nos propres fautes.

Car lors d’un jugement, il faut réparer l’injustice. Et Dieu est un Dieu de Justice. Jésus s’est donné lui-même comme notre intercesseur sans rien nous demander en retour. Et cette réparation, c’est la bonne nouvelle de Dieu. Dieu Lui-même nous rachète pour que nous soyons réconciliés avec Lui, par grâce (gratuitement). Nous-mêmes n’avons plus à porter le poids de notre faute (notre dette) car le sang de son fils a été versé, a été donné gratuitement pour nous et il nous couvre entièrement. C’est la bonne nouvelle de Dieu. Lors du jugement, car jugement il y aura, notre dette nous sera remise, quelqu’un a payé pour nous. Aurions-nous pu imaginer un seul instant que Dieu exerce ainsi Sa Justice ?
“ Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu ” (2 Cor. 5, 21)

La remise des dettes

Horreur, j’aborde un sujet aujourd’hui tabou, celui du sacrifice ! J’ose même parler de sacrifice par le sang ! Il n’est plus guère de théologiens aujourd’hui pour s’aventurer sur ce terrain, sinon pour le déminer aussitôt ! Cette terminologie est bien pourtant celle sur laquelle s’appuient des apôtres comme Paul ! L’Ancien Testament, comme on se plaît toujours à l’appeler, alors qu’il s’agit bel et bien du "premier" testament, regorge de recommandations, plus précises les unes que les autres pour expliquer comment pratiquer une offrande, une oblation (qui se distingue du sacrifice sanglant), un sacrifice par le feu d’épis grillés mais aussi un sacrifice d’animaux... (Lév. 2) Il faut aussitôt ajouter que pour les juifs, le sang c’est là où réside la vie. C’est pourquoi la Thora interdit la consommation du sang. Elle nous décrit Moïse aspergeant le peuple du sang de la victime expiatoire lors du sacrifice d’Alliance et elle déclare : Yahvé efface la faute commise par son peuple ou par des membres : « Ainsi le prêtre fera propitiation pour eux et il leur sera pardonné » (Lév. 4, 20). Outre la dimension symbolique et religieuse de ce rite, Il semble bien que cette tradition, abondamment décrite dans le livre du Lévitique ait eu pour fonction de résolument se détourner de tout sacrifice humain tel qu’il se pratiquait à cette époque. (Les Phéniciens sacrifiaient ainsi des enfants au dieu Baal souvent cité dans la Bible).

Tout le monde sait que Paul s’est opposé à Pierre à propos des pratiques et des rites juifs. En particulier, fallait-il ou non imposer ces rites aux non –juifs devenus chrétiens ? Il est important de souligner que Jésus et ses disciples étaient tous juifs et que Paul se destine à évangéliser les non juifs. Et Paul de nous expliquer que le sacrifice sanglant pratiqué par les juifs est aboli pour le chrétien. En effet, Jésus –parfaitement Homme, parfaitement Dieu- a lui-même donné son sang (sa vie). Ce sacrifice-là est le seul et l’unique, nul autre sacrifice ne le remplacera, ni ne l’égalera, ni ne s’ajoutera, ni ne se retranchera au sang versé une fois pour toutes par Jésus. Ce sang versé est le seul qui couvrira toutes nos dettes. Jésus est notre seul et unique intercesseur. Il s’est fait victime à notre place. Il n’y a plus besoin d’aucune autre victime. Il n’y aura donc plus aucun autre sacrifice sanglant ; ce serait une injure au Christ. Mais alors, à quoi bon, si quelle que soit notre dette, elle nous est déjà remise ?

Dieu, en effet ne pratique pas la Justice rétributive du donnant – donnant, Il remet les dettes, (déjà le Jubilé !) et même si nous sommes jugés coupables (ce qui sera le cas immanquablement, n’en doutons pas !), Il remet la peine qu’en toute justice nous méritions. Ce Dieu est un Dieu qui fait grâce même aux criminels, rappelons-nous cette scène (Luc 23, 39-43) où Jésus s’adresse au criminel condamné avec lui : ''« Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis » ''

Un sacrifice " vivant "

Aussi, Paul précise deux choses qui ont été diversement interprétées au sein de l’Eglise : « Nous sommes justifiés (rendus justes) par la Foi » (Rom. 5, 1) et c’est toute la distinction entre la Foi et les Œuvres. C’est par la Foi que nous sommes rendus justes. Ce texte a littéralement bouleversé la vie de Martin Luther. Il nous renvoie -solidement arrimés- à l’enseignement de la bible hébraïque. Paul reprend en effet en Rom. 4, l’histoire d’Abraham dans le livre de la Genèse : « Abraham crut en Yahvé, qui le lui compta comme justice» (Gen. 15, 5).

« Offrez vos corps en sacrifice vivant » (Rom. 12, 1 et suivants) et c’est toute la « transformation » de la Loi mosaïque. Paul n’a jamais dit que tout sacrifice était aboli ! Il dit d’offrir son corps. Il ne dit pas de l’offrir en esprit, de l’offrir spirituellement comme cela est compris de plus en plus souvent aujourd’hui ! Comme pour les œuvres et la foi, Paul ne confond pas le corps et l’Esprit. Paul nous parle suffisamment souvent de l’Esprit par ailleurs pour que nous ne nous évadions pas aussitôt dans des considérations spirituelles, aussi importantes et fondamentales soient-elles !

Ce corps nous renvoie à notre réalité concrète et matérielle -non pas matérialiste ! - d’êtres vivants sur la terre et dans le monde Et soyons sûrs que Paul utilise ce terme à dessein et à bon escient : Puisque vous êtes justifiés par la Foi, vivez concrètement "dans" le monde sans arme ni armure, comme témoins de l’Amour. Puisque vous êtes justifiés par la Foi, vous n’êtes pas "du" monde, aussi, « ne vous conformez pas » aux pratiques concrètes et matérielles du « siècle présent » (1). Puisque vous êtes justifiés par la Foi, vous êtes « transformés » (1)  toute votre vie concrète et matérielle rendra compte de la grâce qui vous fait vivre. Voilà quel est le sacrifice" vivant" qui nous est demandé. Notre seule histoire, notre véritable histoire, c’est celle de l’histoire d’un amour : C’est l’histoire d’un Dieu de miséricorde élevé sur une croix. C’est l’histoire de «la création entière (qui) souffre les douleurs de l’enfantement» (2). C’est l’histoire de la rencontre –déjà, pas encore- de ce Dieu avec son peuple et aujourd’hui avec l’humanité toute entière. C’est l’histoire de cette justice –déjà, pas encore- à laquelle Dieu nous convoque humblement par des mots qui n’ont de cesse de nous émouvoir :

« Que t’ai-je fait ô mon peuple ? » (Mich. 6, 3)

Christian Moreau                                                                                                                                                 Beaulieu sous Parthenay  


(1) Rom. 12, 2
(2) Rom. 8, 22

 

Publié dans Bonnes Pratiques

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